Cécile et Olivier, vainqueurs de l’Indie Game Contest (lors du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg) avec leur jeu The Coral Cave, m’accordaient une interview. Faisant preuve d’un courage exemplaire en affrontant un typhon au Japon et étant très occupé dans ce même pays, l’Atelier Sentô répondait tout de même à mes questions avec intérêt et gentillesse.
- Parlez-moi un peu de vous, de votre jeu, et de votre studio (logiciels utilisés, le format du jeu, les dates de sortie etc…)
Nous sommes Cécile et Olivier, deux dessinateurs réunis sous le toit de l’Atelier Sentô. Les sentô sont les bains publics japonais. Nous avons choisi pour nom ces établissements en voie de disparition car ils évoquent notre passion pour un Japon populaire, un peu suranné et oublié.
The Coral Cave est notre premier projet de jeu vidéo, c’est donc nouveau pour nous car nous n’avions jamais programmé, composé de musique ou créé d’énigmes. Le choix de réaliser un point and click s’est imposé car nous sommes habitués à travailler l’histoire, les décors et les personnages. Nous utilisons Wintermute, un logiciel gratuit et facile d’utilisation qui nous permet de nous concentrer sur l’aspect graphique et narratif du jeu. L’idée de The Coral Cave est née il y a presque deux ans mais nous n’y travaillons pleinement que depuis peu. Il est difficile pour nous de prédire une date de sortie car nous découvrons au fur et à mesure les difficultés que l’on peut rencontrer dans la création d’un jeu et que nous ne voulons bâcler aucune étape.
- La démocratisation des logiciels de programmation (Flash Unity…) a permis depuis quelques années une implication plus aisée des artistes et des auteurs dans la chaîne de fabrication des jeux vidéo. Votre jeu volontairement traditionnel dans son background artistique fait-il parti selon vous d’un tel mouvement nouveau ? Quel est d’ailleurs le dosage entre informatique et artistique dans votre projet ? Y-a t-il une dominante ?
En effet, nous n’aurions jamais imaginé pouvoir créer un jeu sans ces nouveaux logiciels. Nous aimons beaucoup l’idée que, désormais, n’importe qui peut créer un jeu. L’avantage du point and click est de mettre l’accent sur la narration. Nous sommes de grands fans de Dave Gilbert qui, depuis des années, avec l’aide du logiciel gratuit Adventure Game Studio, invente de magnifiques histoires, très personnelles, drôles et émouvantes.
De même, il y a un vrai renouveau artistique dans le milieu du jeu vidéo indépendant : des jeux comme Gorogoa, Luminocity, Pavilion possèdent des univers visuels inédits et ont pour point commun d’avoir été créés par de minuscules équipes à l’aide de ces logiciels de création. Ces jeux artisanaux offrent une alternative rafraîchissante à l’industrie.
Pour The Coral Cave, le dosage entre informatique et artistique est vite vu : nous ne sommes capable de programmer que des actions très rudimentaires donc nous réfléchissons chaque scène à l’avance pour limiter leur complexité. Nous essayons de faire en sorte que les actions requises soient très simples à mettre en place. Nous développons donc au maximum l’aspect artistique du jeu pour le jeu se passe en majorité dans la tête du joueur : il doit observer les décors et personnages pour essayer de comprendre la logique des puzzles. C’est très économique en programmation !
- Comment votre jeu est-il financé ?
Nous réalisons notre jeu à deux, en utilisant des logiciels gratuits, du papier et de l’aquarelle. Ça ne nous demande aucune dépense importante. Nous savons nous montrer économes dans notre vie de tous les jours : on a juste assez d’argent pour continuer à travailler sur le jeu. On ne ressent pas le besoin de chercher un financement à ce stade du projet. Peut-être cela s’imposera-t-il au moment de l’enregistrement des voix et de la traduction du jeu dans plusieurs langues. Mais l’idéal serait de nous en sortir par nous-même.
- Votre jeu n’a donc aucun financement, peut-on à ce moment là parler d’une démarche de jeu vidéo d’auteur plutôt que de jeu vidéo indépendant ?
Si on s’est lancé dans ce projet, c’est dans l’espoir d’y être indépendant. A l’origine, on voulait se consacrer à la BD mais, dans ce milieu, il est très difficile de travailler sans éditeur car les albums ne se vendent qu’en magasin. Les auteurs de BD n’ont aucun poids face aux éditeurs qui, souvent, profitent de leur position pour leur imposer des conditions intenables.
Le jeu vidéo a le mérite de proposer des outils de création adaptés aux indépendants et des plate-formes de vente en ligne qui leur permettent de distribuer leur jeux sans passer par un éditeur.
De même, il existe un public attaché à soutenir les petites créations indépendantes pour promouvoir une manière différente de créer des jeux.
Donc, même si The Coral Cave n’a pas de financement, nous espérons qu’il trouvera son public pour nous permettre de continuer à travailler sur des projets qui nous plaisent. L’avenir est incertain mais s’il y a bien une chose de sûre, c’est qu’on tient à garder notre indépendance.
- Avez-vous d’autres projets en route ?
Cet été, on a dessiné une BD de 20 pages qui raconte une petite aventure de Mizuka, l’héroïne de The Coral Cave. Il faut maintenant qu’on s’occupe des démarches pour l’imprimer.
On a aussi plusieurs expositions prévues, dont une qui sera intégralement consacrée au jeu. Ça se passera en France au printemps. On essaie de se focaliser autant que possible sur l’univers de The Coral Cave… même s’il nous arrive d’accepter quelques projets en collaboration avec d’autres auteurs comme Spera, un comic-book sur lequel nous avons travaillé cette année et qui devrait sortir en novembre.
- Étant donné que vous avez réalisé une BD sur le même sujet (The Coral Cave), votre but est d’avoir une logique plutôt transmédia (utilisation combinée de plusieurs médias pour développer des univers narratifs, des franchises, chaque média employé développant un contenu différent), ou plutôt cross média (utilisation d’un ou plusieurs média initiaux pour renvoyer vers un média complémentaire permettant de prolonger et enrichir le contact) pour le jeu ?
Nous ne sommes pas très familiers avec les notions de cross/trans media, d’autant plus que la création se fait de la même manière pour la BD et le jeu : sur du papier avec un crayon et de l’aquarelle.
La BD The Coral Cave est née de l’envie de faire vivre une petite aventure à notre héroïne. Elle est destinée avant tout aux joueurs qui aimeraient un avant-goût de l’univers du jeu mais aussi à nous pour nous aider dans notre travail.
La création du jeu se fait lentement, en assemblant les décors un à un, en animant les personnages pose après pose : le résultat restera abstrait jusqu’à la fin. Avec la BD, au contraire, on a obtenu un résultat fini très rapidement : le monde de The Coral Cave a pris vie sous nos yeux !
Ça nous a aidé à nous familiariser avec les lieux et personnages qui peuplent cette île. Certains personnages qu’on ne fait que croiser dans le jeu tiennent un rôle plus important dans la BD et vice-versa. Cela nous permet de nous attacher à tous. On a désormais une image vivante de cet univers et cela nous guidera tout le long de notre travail sur le jeu.
Séléction musicale de l’Atelier Sentô !
Jing Jing de Shoukichi Kina, un célèbre musicien d’Okinawa :
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